J’aperçus la peur dans ses yeux. Un regard teinté d’une angoisse terrible. Darwin, jeune enfant de la rue atteint de la myopathie de Duchenne, se mourait. La maladie avait évolué au cours des 7 années passées à la Fondation des enfants de Manille. Admis à l’hôpital 4 jours auparavant, sa respiration devenait difficile.
Notre petit héros ne parlait pas de son infirmité comme d’une maladie, mais il la comprenait comme une mission :
-
Darwin en prière
Tu sais , dit-il à un éducateur, je crois qu’à chaque fois que j’ai mal, Jésus utilise ma souffrance pour faire du bien à quelqu’un.
Il avait une intimité avec le Crucifié que peu de grands priants connaissent.
Ce jeudi 20 septembre à mon arrivée à l’hôpital :
- Il faut prier… dit-il avec insistance.
- Veux-tu que j’aille chercher mes affaires pour t’administrer les derniers sacrements ? demandai-je, troublé par son angoisse.
- Il faut prier maintenant.
L’air péremptoire qu’il prenait ne lui ressemblait pas. - Qu’y a-t-il mon petit bonhomme ? Tu as l’air inquiet ? Pourquoi es-tu si pressé de prier ?
Darwin articula péniblement : - Parce que je me bats.
- Tu te bats contre ta maladie ?
Sans me quitter de ses yeux inquiets : - Non. Contre le Démon.
Il vivait ce qu’ont vécu une poignée de grands saints. Nous avons prié le rosaire, je lui ai administré les derniers sacrements. C’était son jour d’agonie.

Le lendemain, à ma grande surprise, je retrouvai un enfant rayonnant. Il m’accueillit avec un beau sourire et demanda aussitôt un papier et un crayon pour m’écrire un petit mot, voulant me rassurer.
Péniblement, il m’écrit : « Un immense merci » et « Je suis très heureux ». C’était son testament. Une joie authentique rayonnait effectivement de lui. Une joie qui brillait au cœur de sa souffrance, joie inexplicable, mais bien réelle. Darwin avait tout - extérieurement - pour être malheureux, même désespéré, mais il embrassait intérieurement une joie parfaitement spirituelle.
Le lendemain - son Samedi-Saint - il est entré dans un grand silence.
Dans la nuit de samedi à dimanche, entouré de tous ceux qui l’avaient accompagné, il allait nous quitter. Assis à côté de lui et m’approchant de son oreille, ne retenant pas mes larmes, je lui susurrai :
- Vas-y, mon bonhomme, pars, tu t’es bien battu.
Darwin s’est éteint le dimanche matin 23 septembre, jour de Résurrection.
Darwin mériterait d’être élevé sur les autels, car il est un témoin privilégié de ce pèlerinage de joie.