Sr Léonie : « Il me dit qu’il avait perdu la Foi… »

Voici une 2e histoire vraie racontée par sœur Léonie, infirmière néerlandaise, qui fut envoyée en mission à Tambaga (Burkina Faso) en 1961…

Voici une 2e histoire vraie racontée par sœur Léonie, infirmière néerlandaise, qui fut envoyée en mission à Tambaga (Burkina Faso) en 1961 :

Sœur Léonie au Burkina, dans les années 1961 et suivantes…

Un jour, au Burkina, les Sœurs de la communauté étaient parties à une retraite. Sœur Madeleine et moi restions toutes les deux parce que nous avions le « palu » : maux de tête, vomissements… Pourtant, il me fallait absolument me rendre au dispensaire pour travailler. J’y suis restée toute la matinée. Le midi, quand je fus rentrée à la maison, Sœur Madeleine me dit : « Je n’ai pas fait de cuisine ». À quoi je réponds : « Tu as bien fait parce que je ne veux rien prendre, à part une tasse de bouillon. Après je vais me reposer ; j’espère que personne ne va venir… Je suis tout de même trop malade ! »

Au même moment, je vois un homme qui semblait s’avancer vers notre maison et qui marchait comme s’il était ivre. Quand il est arrivé chez nous, je suis sortie sous la véranda. Il me tomba dans les bras en me disant :

  • « De l’eau, de l’eau, ma Sœur. Je suis le Docteur Dutertre »
  • « Que s’est-il passé, Docteur ? » Il me raconte son aventure. Il était resté embourbé avec sa grosse voiture près d’une rizière. Nous connaissions les lieux, à 7 kilomètres de chez nous. En pleine saison d’hivernage, un coup de volant trop à droite et on peut tomber dans la rizière et y rester embourbé. Son chauffeur était resté à côté de la voiture. Le Docteur venait à la mission croyant y trouver les Pères et chercher de l’aide. Hélas ! Les Pères étaient absents.
  • « Que vais-je devenir ? » dit le docteur.
  • « On va aller vous sauver, on va vous débourber ! »
La 2 CV des sœurs de la mission

(C’était comme si cette affaire nous avait donné des ailes, nous nous sentions toutes les deux mieux…). Je vais sortir la 2 CV, Sœur Madeleine va chercher quelques pioches, des planches, des pelles… et en route vers la rizière. Quelques hommes du village sont accourus. Ils ont bêché, poussé les planches sous la voiture. Le docteur tenait le volant ; ça avançait centimètre par centimètre… Nous avons réussi à débourber la voiture, et sommes rentrés à la maison. Nous avons trouvé un lit pour le médecin dans notre maternité, et il est venu manger avec nous. Il nous dit :

  • « Il faut que j’aille absolument encore de l’autre côté de la falaise visiter les lépreux ».
  • « Non docteur, il ne faut pas faire cela aujourd’hui. Il est trois heures, vous n’allez pas rentrer avant la nuit ». Il est parti quand même chez le chef du village lui demander son cheval pour se rendre chez les lépreux. Heureusement il était de retour avant la nuit.

Le lendemain, il nous a aidées au dispensaire et est parti. Il est revenu chez nous trois ou quatre fois, et voici que j’avais remarqué qu’il n’avait qu’un œil. Je ne m’en étais pas aperçu auparavant, car il portait des verres noirs. Il me dit un jour qu’il « avait perdu la FOI ». Il continuait à venir… Un jour, il me dit :

  • « Je vais vous dire pourquoi j’ai perdu la Foi » (Dans mon cœur, je me disais : « il n’a pas perdu la Foi, cet homme ! ») Pendant la guerre d’Algérie, il était là comme médecin, et un soir, deux soldats se sont disputés. Il en voit un qui tire de sa poche un couteau et le lance vers son camarade. Il a sauté entre les deux, et c’est lui, le docteur, qui a reçu le couteau dans l’œil. Son travail en Algérie était fini… Il est rentré en France. Quand il eut fini son histoire, il me regarda et me dit :
  • « Qu’est-ce que vous en dites ? ». Je lui dis :
  • « Mais ce n’est pas à cause de votre œil que vous avez perdu la Foi… Mais parce que votre fiancée ne voulait plus de vous parce que vous n’aviez plus qu’un œil ». Et j’ai continué, j’ai dit : « Docteur, c’est très très dommage que vous ayez perdu votre œil, mais avec cela, vous avez une grande chance ». Il me regarde comme si j’étais folle et me dit :
  • « Expliquez-moi cela ». Je lui dis :
  • « Vous avez une grande chance de ne pas avoir épousé cette jeune fille qui ne voulait plus de vous parce que vous aviez perdu votre œil. Elle n’a pas reconnu votre valeur d’homme, alors que vous aviez risqué votre vie pour ces deux soldats… L’un des deux allait être tué ! Pour moi, cette fille n’était pas digne de vous. Je le répète : c’est très dommage que vous ayez perdu votre œil, mais c’eût été encore plus regrettable d’avoir épousé cette jeune ».
Un petit garçon apporté mourant par sa maman

Le Docteur est revenu bien des fois. Il est revenu encore une fois juste au moment d’une épidémie de rougeole. Il était dans sa voiture, prêt à quitter le village, lorsque une femme arrive avec un bébé dans ses bras : il mourait. Il n’avait plus que la peau sur les os. Et moi je dis : « Docteur ! Docteur ! Voulez-vous venir une minute ? » Il est descendu de voiture et est venu près de la maman. Il me dit : « Que voulez-vous faire avec ça ?.. » La maman, se rendant compte que l’enfant se mourait, de supplier :

  • « Sœur, Sœur… Baptême… Baptême ! »
  • « Je vais le baptiser » lui dis-je. Le Docteur a répondu : « Pourquoi pas ? Moi aussi j’ai été baptisé, cela ne m’a pas fait de mal ! » Je lui dis alors :
  • « Est-ce que vous me permettez de vous demander comment vous vous appelez ? Votre prénom ? »
  • « Je m’appelle JEAN ».
  • « Est-ce que vous me permettez de donner à ce petit bébé mourant le nom de Jean ? »
  • « Volontiers ». Je pris un verre d’eau propre, et j’ai baptisé le petit : « Jean, je te baptise, au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit ». Jean a respiré encore deux fois et est parti chez le Bon Dieu. J’ai dit au docteur : « Voilà… Le petit Jean est rendu chez le Bon Dieu. J’espère qu’il obtiendra que vous retrouviez la Foi ! ». Ce médecin - 35 ans - deux grosses larmes coulant sur ses joues, m’a répondu :
  • « Ce n’est plus nécessaire, ma Sœur, je l’ai retrouvée ».

Sœur Léonie, sœur néerlandaise, lorsqu’elle était en mission à Tambaga, au Burkina Faso.

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