« Grâce aux langues, on est chez soi n’importe où » (Edmund de Waal)
Sœur Bernadette enseigne la langue française à trois demandeurs d’asile. Elle nous partage comment se passent les séances et ce qui s’y vit :

Le Centre Social « “Familles Actives” » situé au 1 bd de Groslay à Fougères est un centre très dynamique. Il propose des activités multiples : Ateliers Échanges de savoirs, Tic Clique (informatique), Cuisine du monde/cuisine d’ici, Avancer dans ses projets, Ballades du Mardi, Langue Française. C’est cette activité que j’ai choisie comme bénévole. Chaque jeudi, je vais au Centre où je retrouve trois migrants, de nationalité différente et sans connaissance de base du français : un Afghan, un Tibétain, un Bengali.
Enseigner le français est une véritable entreprise qui demande beaucoup d’ingéniosité pour se faire comprendre, au début surtout, quand les apprenants sont si différents. Le premier apprentissage a été de savoir se présenter : parler d’abord, remplir une fiche d’identité ensuite. Les crises de fou rire ne sont pas loin : je suis 27 ans, j’ai Afghan…. Et voilà que tout se mélange ! Ils sont jeunes : 21, 24, 27 ans. Sur un atlas, ils ont plus ou moins refait leur parcours pour arriver en France. Sur une photo, l’un est assis sur un banc public à Istanbul. L’autre est photographié au milieu de fleurs et j’ai fini par comprendre qu’il a vendu des fleurs chez un fleuriste en Grèce. Le troisième a expliqué avec forces gestes qu’il a marché… marché… depuis le Bengladesh, toujours le sac sur le dos.

Enseigner est une activité qui apporte beaucoup de satisfaction : chaque fois qu’ils réussissent à comprendre, ils en sont tout joyeux, leur visage change. Ils ont été fascinés par l’écriture et la lecture des nombres à propos de leur âge : un, vingt et un, trente et un. Facile… facile… La prononciation est plus difficile. La phonétique est une grande difficulté : les sons ne sont pas les mêmes… Et les lettres, ils les transposent parfois en alphabet arabe. Tour de Babel !!! Mais ils ont déjà fait quelques progrès. Quand nous avons commencé, ils ne savaient que répéter : ils répétaient les questions comme un écho. Briser cet automatisme a été la plus grande difficulté à surmonter. Nous apprenons aussi à lire. Ils ont tous été scolarisés dans leur langue, ce qui implique qu’ils savent ce que lire veut dire.
L’apprentissage sera long, mais j’ai bon espoir de les voir s’épanouir et réussir pour s’adapter dans ce pays qui est celui de leur choix, eux qui sont demandeurs d’asile. Mais derrière chaque visage, je devine un long chemin et beaucoup d’incertitudes.

« Que l’on devrait parler allemand à son cheval, anglais aux oiseaux, français à son ami, italien à sa maîtresse et espagnol à Dieu ! L’âme d’un peuple vit dans sa langue. Le premier instrument du génie d’un peuple, c’est sa langue » (auteur inconnu, peut-être Charles Quint).
Sœur Bernadette D., SCR, Fougères